Jacques CASTELL

C’est en 1986, au Salon «Art Pluriel» de Rueil-Malmaison que j’ai rencontré pour la première fois les œuvres de Jean-Claude TARDIVO. Il y était invité d’honneur.
Déjà, les grands personnages qu’il y présentait surprenaient beaucoup par leurs particularités morphologiques: silhouettes rebondies, esquissées, plus suggérées que définies, visages bouffis, mains énormes et largement ouvertes, prolongées exagérément par des doigts boudinés et écartelés prêts à saisir… on ne sait trop quoi, épiderme empâté de ces corps embryonnaires complètement englués dans un fond d’ocre grisâtre et terreux comme s’ils étaient encore prisonniers de leur gangue originelle.
Travaillant par étapes, TARDIVO laisse peu à peu la couleur entrer dans ses toiles. Quelques bleus assourdis viennent dialoguer avec les terres et les ocres rompus… quelques orangés chantent dans le rôle d’une tonique faisant vivre les dominantes de gris multiples… puis, les couleurs évoluent vers plus de franchise les complémentaires vibrant à l’unisson de leurs primaires…
En même temps, sans pour autant être vraiment plus précises, et conservant toujours dans leur essence cet aspect « arrondi» et cet esprit enfantin qui les caractérisent, les formes se détachent et s’isolent du fond: TARDIVO les dessine davantage et précise également l’essentiel de leur environnement. Presque toujours asexués jusqu’alors, il semblerait aussi que les personnages aient tendance à se féminiser…
Tout cela se retrouve dans les toiles que TARDIVO nous montre aujourd’hui. Elles sont bien le reflet d’une lente maturation, d’une genèse délicate, soumise à bien des embûches et des aléas. Elle sont le fruit d’un travail suivi, cohérent, où l’artiste, laissant libre cours à son talent comme à sa fantaisie créatrice, a poursuivi sans se soucier des modes ni des canons des Beaux-Arts, la route qui s’imposait à lui : « Je ne décide pas de ce que je vais faire – dit-il, j’écoute ma petite musique qui en toute sérénité me laisse aller sur le chemin que je dois suivre».
S’exprimant toujours dans une inégalable liberté d’esprit et de geste, il nous offre à la fois une part d’enfance et de tendresse (mais avec quelle force chromatique !) et témoigne en même temps de sentiments exacerbés, d’une révolte, fougueuse, certes, mais jamais agressive.
Usant de ses propres signes, de son propre vocabulaire, il construit sans règles ni lois son propre monde, son univers «tardivesque », assemblage narratif aléatoire composé d’éléments vécus, remémorés, pris sur le vif du quotidien ou dans le répertoire des connaissances, et le raconte, d’une écriture spontanée guidée par une technique habilement enlevée nourrissant ses toiles d’une couleur-matière onctueuse dont on se délecte avec gourmandise…
Cette peinture, contemporaine dans l’expression et primitive dans l’esprit tout en restant classique dans ses sujets, est, peut-être, l’héritière d’un DUBUFFET, voire par certains côtés, d’un PICASSO ou d’un LORJOU, mais elle apporte une indéniable nouveauté. Elle demeurera comme le témoignage sincère d’un artiste généreux, authentique, qui, débarrassé de toute contrainte esthétique, nous fait part, sous couvert d’une désinvolture apparente et parfois d’un humour rageur et corrosif, de la fragilité de l’existence et, sans doute, du plus profond ressenti de son être propre.
Ce qui est sûr, c’est que cette peinture ne laisse personne indifférent et que TARDIVO est en train de marquer magistralement son passage…

Jacques CASTELL
Avril 2005