Françoise MARVIER

TARDIVO, UN PEINTRE DIFFÉRENT

Quand on demande à Tardivo
– A quel moment êtes-vous devenu peintre ?
Il répond, non sans malice
– A ce moment là.
«Ce moment là», c’est à deux ans et demi.
Armé d’un crayon et d’un papier, sur un coin de table, il fait ses premiers «gribouillis». Comme tous les enfants. A cette différence près que lui, depuis, ne s’est pas arrêté. De « gribouillis» en «bonshommes-têtards», de «bonshommes-têtards» en «Géants» de «Géants» en «Vénus» de «Vénus» en «Dames» de «Dames» en «Cousins-de-bonshommes-têtards», Tardivo, sur le papier, le carton, le bois ou la toile, n’a pas cessé de gribouiller. Année après année, il a acquis des techniques de plus en plus complexes, tout en affirmant, par choix autant que par goût, une gestuelle de plus en plus décomplexée.
« Quand j’ai l’impression d’avoir exploré un territoire » se confie-t-il « je reviens à mon bonhomme-têtard. Il me sert de repère. Les premières traces laissées par un enfant, inscrites en mémoire fondamentale, sont la genèse d’une démarche artistique en promesse d’exister».
Une démarche artistique que nourrit un autre aspect, plus spécifique, du vécu du peintre.
Tardivo n’a pas seulement été un enfant.
Il a été, et il reste, un jumeau.
Dès la naissance, il a connu ce paradoxe d’être à la fois un être- moitié et un être-double, source, chez celui qui en est l’objet, de privilège autant que de privation. Michel Tournier, dans son livre «les Météores» analyse avec subtilité les effets du «cocon gémellaire ». En particulier l’usage, entre jumeaux, d’un langage qu’il baptise «éolien».
Tardivo, enfant, a pratiqué «l’éolien».
Il a connu, par mimiques, signes et divers sons vocaux, la parfaite communication avec «l’autre». Et, par voie de conséquence, l’isolement d’avec «tous les autres». Ceux qui n’étaient pas son jumeau. Ceux qui offraient, à ses yeux tourmentés d’enfant déjà peintre «un réel grand mystère».
Mystère aujourd’hui encore non résolu.
D’où l’aspect, multiple et fantasque, des créatures qui peuplent son univers.
Difformes, biscornus, déglingués, nus ou vêtus d’oripeaux flamboyants, ses personnages ne cessent, depuis qu’il a commencé à peindre, de se transformer. Ils sont les avatars d’un même être, insaisissable, qu’il poursuit depuis l’enfance afin de trouver la réponse à cette unique question
– Qui est l’autre ?
Paradoxe intime, et douloureux, du créateur.
Parce que Tardivo, enfant, a connu la sensation de n’être pas seul, il s’entoure toile après toile, d’un nombre toujours renouvelé de créatures imaginaires.
Parce que Tardivo, enfant, a cru avoir un parfait semblable, il
ne cesse de s’affirmer, dans sa démarche artistique, un peintre différent.

Françoise MARVIER