Marie-Lou PERDRIGEAT

TARDIVO vit et travaille à Paris. Mais il est né à Villedômer, près de Château-Renault, lieu d’origine de sa famille, auquel est attachée toute son enfance. Ses parents, comme tous les gens de la campagne à cette époque, croyaient inimaginable que la peinture puisse être considérée autrement que comme une activité ludique.
Lorsqu’il se mit à peindre, le petit Jean-Claude TARDlVEAU n’avait jamais vu de tableaux, pas même ceux d’André BAUCHANT, peintre célèbre du Castelrenaudais dont il connaissait seulement le nom. Un tableau pourtant, trouvé dans les pages du dictionnaire « L’assassinat de Marat par Charlotte Corday » de David, le fascinait tant qu’il a peut-être été à l’origine du déclic. A moins que ce ne soit l’héritage génétique d’un grand-père un peu artiste, qu’il n’a même jamais connu.
Ce qui est sûr, c’est qu’il portait la peinture en lui, comme un sacerdoce, alors que le contexte environnemental ne se prêtait pas à lui en donner la vocation.
C’est Pierre VIGNAC, professeur aux Beaux-Arts de Tours qui lui a fait croire en ce qu’il faisait en parlant ainsi à ses camarades de classe: « Un jour, TARDIVO ne fera que de la peinture ».
C’est aujourd’hui le peintre de renommée internationale qui a exposé de la Suisse à la Chine en passant par la Russie, l’Allemagne, le Japon et les Etats-Unis.
Plusieurs ouvrages lui ont été consacrés. Des écoles et des collèges ont fait travailler leurs élèves sur sa peinture. C’est d’ailleurs auprès des enfants de l’école maternelle Paul Dubois à Paris qu’au moment où il se posait certaines questions, il s’est attaché à trouver plus de vérité aux personnages qu’il peignait déjà: « Il y a dans les dessins d’enfant toute la vérité que l’adulte a laissé s’enfuir. Il y a aussi toute la pureté et l’amour qui les rendent supérieurement beaux. Ils contiennent l’avenir en création, opposé au devenir nostalgique ».
L’artiste est modeste et réservé mais il sait livrer des bribes de son existence dès la première rencontre. Il offre une écoute patiente à son interlocuteur. Il est encore fortement lié par des amitiés en Touraine où il a exposé à la Galerie Sainte-Croix à Tours en 1970, et plus récemment à Château-Renault (Moulin de Vauchevrier et Centre de Rencontres) en 1995 en hommage à ses parents, et à l’Atelier 19 à Tours en 1998.
Il peint à l’acrylique, plutôt sur de grands formats et fabrique
ses instruments lui-même pour obtenir des effets de texture intéressants, griffant et triturant la matière dans une gestuelle intérieure marquée.
Ses couleurs vibrent en camaïeux sourds de bruns terriens et de tons de peau, d’où surgissent un jaune rare, un bleu entier, un rouge théâtre. « Certaines de mes œuvres peuvent paraître peu colorées, mais lorsque je mets trop de couleurs j’ai parfois l’impression d’apposer un artifice complaisant ».
Ses sujets dans cette exposition sont essentiellement des femmes, nues et toujours de face. Certaines sont encore apparentées aux dessins enfantins de la phase têtard représentant une étape dans sa peinture. Les autres ont acquis une certaine maturité et deviennent plus « femelles », dans l’acceptation noble du terme. Les mains et les pieds sont toujours disproportionnés; les visages sont représentés par les yeux et la bouche. S’imposent alors les yeux pleins d’expressivité, malicieux, penauds, dubitatifs, pleins de tendresse parfois … jamais méchants.
Souvent les mains, dans une attitude protectrice enveloppent la symbolique du cordon ombilical nourricier.
Il travaille par « séries », dans le but d’approfondir le sujet dans une recherche de synthèse de la forme, de la composition et des couleurs. Il offre de ce fait une œuvre puissante et singulière qui, par ses chromatisme, stylisation et goût du portrait, le place dans la famille multiforme des expressionnistes. Cependant, c’est un peintre hors courant, hors nonnes, hors discours. « TARDIVO n’imite personne, il se contente d’être lui-même et c’est magnifique ».
Les tableaux de TARDIVO ne sont pas d’une approche séduisante a priori, ni même facile, la première prise de contact peut être pour certains un véritable choc intérieur assez brutal. C’est un travail qui ne peut être appréhendé au premier regard et le déclic n’est pas forcément spontané.
La perception et l’acceptation de son œuvre ne sont pas dues à une simple habitude de regarder, mais de voir. C’est la recherche de la beauté intérieure, comme une richesse d’être – le vrai ne s’encombre pas du joli -. Les enfants qui ne s’embarrassent pas de préjugés, ni de justifications, perçoivent la peinture de TARDIVO d’une façon très souvent spontanée.
« Les adultes confits dans le leurre de leurs certitudes, se donnant comme interdit de voir ou d’entendre ce qui les dérange, ont très souvent perdu de vue qu’ils pourraient encore réagir sans honte, avec leur sensibilité ». TARDIVO nous bouscule, il s’est peut -être servi de ces formes en apparence infantiles pour nous ramener à l’endroit où tout nous redevient possible.
Les œuvres de TARDIVO accrochées au Ripault sont représentatives d’une démarche engageant les trois dernières années. Elles sont aussi l’aboutissement d’un long travail, d’une longue pratique de recherches picturales dont les strates s’accumulent depuis 50 ans. TARDIVO marque une empreinte vraie et sincère.

Marie-Lou PERDRIGEAT
2002