Jean-Claude Tardivo

Françoise Marvier

Jacques Castell

Anne Cauquelin

Michel Faucher

Dominique Fleur

Béatrice Foret

Martine Gasnier

Jean-François Julien

Isabelle Lacrouts

Fabienne Le Beller

Alix Lemarchand

Marie-Lou Perdrigeat

Jeanine Rivais

Elisabeth Poulain

LES COUSINS DE BONHOMME TÊTARD Notre enfance nous suit comme une douce lumière. Elle reste l'espace où sans cesse nous pouvons nous ressourcer. Ma démarche pour les COUSINS DE BONHOMME TÊTARD n'est pas la nostalgie de l'enfance. Ce qui m'anime, après de nombreuses expériences qui m'ont permis d'identifier l'inné de mon expression, c'est de redécouvrir l'origine de ce don. Son étymologie primaire. La phase bonhomme têtard : une résurgence de nos premières années. La genèse de notre histoire commence là, en ce lieu initial, en cette mémoire fondamentale. Ce lieu où l'on prend conscience de son être et son espace, où notre énergie pulsionnelle libère un geste originel, et où, pour notre bonheur, nous sommes encore épargnés du "prétendu savoir" de l'adulte. Ce lieu unique et universel où tout espoir semble possible, imaginable dans l'aventure d'EXISTER. Voilà pourquoi, chaque fois que j'ai l'impression d'avoir exploré un territoire, je retourne là, en ce lieu, pour recommencer. Tardivo Juillet 2008
TARDIVO, UN PEINTRE DIFFÉRENT Quand on demande à Tardivo – A quel moment êtes-vous devenu peintre ? Il répond, non sans malice – A ce moment là. «Ce moment là», c'est à deux ans et demi. Armé d'un crayon et d'un papier, sur un coin de table, il fait ses premiers «gribouillis». Comme tous les enfants. A cette différence près que lui, depuis, ne s'est pas arrêté. De « gribouillis» en «bonshommes-têtards», de «bonshommes-têtards» en «Géants» de «Géants» en «Vénus» de «Vénus» en «Dames» de «Dames» en «Cousins-de-bonshommes-têtards», Tardivo, sur le papier, le carton, le bois ou la toile, n'a pas cessé de gribouiller. Année après année, il a acquis des techniques de plus en plus complexes, tout en affirmant, par choix autant que par goût, une gestuelle de plus en plus décomplexée. « Quand j'ai l'impression d'avoir exploré un territoire » se confie-t-il « je reviens à mon bonhomme-têtard. Il me sert de repère. Les premières traces laissées par un enfant, inscrites en mémoire fondamentale, sont la genèse d'une démarche artistique en promesse d'exister». Une démarche artistique que nourrit un autre aspect, plus spécifique, du vécu du peintre. Tardivo n'a pas seulement été un enfant. Il a été, et il reste, un jumeau. Dès la naissance, il a connu ce paradoxe d'être à la fois un être- moitié et un être-double, source, chez celui qui en est l'objet, de privilège autant que de privation. Michel Tournier, dans son livre «les Météores» analyse avec subtilité les effets du «cocon gémellaire ». En particulier l'usage, entre jumeaux, d'un langage qu'il baptise «éolien». Tardivo, enfant, a pratiqué «l'éolien». Il a connu, par mimiques, signes et divers sons vocaux, la parfaite communication avec «l'autre». Et, par voie de conséquence, l'isolement d'avec «tous les autres». Ceux qui n'étaient pas son jumeau. Ceux qui offraient, à ses yeux tourmentés d'enfant déjà peintre «un réel grand mystère». Mystère aujourd'hui encore non résolu. D'où l'aspect, multiple et fantasque, des créatures qui peuplent son univers. Difformes, biscornus, déglingués, nus ou vêtus d'oripeaux flamboyants, ses personnages ne cessent, depuis qu'il a commencé à peindre, de se transformer. Ils sont les avatars d'un même être, insaisissable, qu'il poursuit depuis l'enfance afin de trouver la réponse à cette unique question – Qui est l'autre ? Paradoxe intime, et douloureux, du créateur. Parce que Tardivo, enfant, a connu la sensation de n'être pas seul, il s'entoure toile après toile, d'un nombre toujours renouvelé de créatures imaginaires. Parce que Tardivo, enfant, a cru avoir un parfait semblable, il ne cesse de s'affirmer, dans sa démarche artistique, un peintre différent. Françoise Marvier
C'est en 1986, au Salon «Art Pluriel» de Rueil-Malmaison que j'ai rencontré pour la première fois les œuvres de Jean-Claude TARDIVO. Il y était invité d'honneur. Déjà, les grands personnages qu'il y présentait surprenaient beaucoup par leurs particularités morphologiques: silhouettes rebondies, esquissées, plus suggérées que définies, visages bouffis, mains énormes et largement ouvertes, prolongées exagérément par des doigts boudinés et écartelés prêts à saisir... on ne sait trop quoi, épiderme empâté de ces corps embryonnaires complètement englués dans un fond d'ocre grisâtre et terreux comme s'ils étaient encore prisonniers de leur gangue originelle. Travaillant par étapes, TARDIVO laisse peu à peu la couleur entrer dans ses toiles. Quelques bleus assourdis viennent dialoguer avec les terres et les ocres rompus... quelques orangés chantent dans le rôle d'une tonique faisant vivre les dominantes de gris multiples... puis, les couleurs évoluent vers plus de franchise les complémentaires vibrant à l'unisson de leurs primaires... En même temps, sans pour autant être vraiment plus précises, et conservant toujours dans leur essence cet aspect « arrondi» et cet esprit enfantin qui les caractérisent, les formes se détachent et s'isolent du fond: TARDIVO les dessine davantage et précise également l'essentiel de leur environnement. Presque toujours asexués jusqu'alors, il semblerait aussi que les personnages aient tendance à se féminiser... Tout cela se retrouve dans les toiles que TARDIVO nous montre aujourd'hui. Elles sont bien le reflet d'une lente maturation, d'une genèse délicate, soumise à bien des embûches et des aléas. Elle sont le fruit d'un travail suivi, cohérent, où l'artiste, laissant libre cours à son talent comme à sa fantaisie créatrice, a poursuivi sans se soucier des modes ni des canons des Beaux-Arts, la route qui s'imposait à lui : « Je ne décide pas de ce que je vais faire - dit-il, j'écoute ma petite musique qui en toute sérénité me laisse aller sur le chemin que je dois suivre». S'exprimant toujours dans une inégalable liberté d'esprit et de geste, il nous offre à la fois une part d'enfance et de tendresse (mais avec quelle force chromatique !) et témoigne en même temps de sentiments exacerbés, d'une révolte, fougueuse, certes, mais jamais agressive. Usant de ses propres signes, de son propre vocabulaire, il construit sans règles ni lois son propre monde, son univers «tardivesque », assemblage narratif aléatoire composé d'éléments vécus, remémorés, pris sur le vif du quotidien ou dans le répertoire des connaissances, et le raconte, d'une écriture spontanée guidée par une technique habilement enlevée nourrissant ses toiles d'une couleur-matière onctueuse dont on se délecte avec gourmandise... Cette peinture, contemporaine dans l'expression et primitive dans l'esprit tout en restant classique dans ses sujets, est, peut-être, l'héritière d'un DUBUFFET, voire par certains côtés, d'un PICASSO ou d'un LORJOU, mais elle apporte une indéniable nouveauté. Elle demeurera comme le témoignage sincère d'un artiste généreux, authentique, qui, débarrassé de toute contrainte esthétique, nous fait part, sous couvert d'une désinvolture apparente et parfois d'un humour rageur et corrosif, de la fragilité de l'existence et, sans doute, du plus profond ressenti de son être propre. Ce qui est sûr, c'est que cette peinture ne laisse personne indifférent et que TARDIVO est en train de marquer magistralement son passage... Jacques Castell Avril 2005
Il est rare, aujourd'hui, de rencontrer un peintre qui peint –et qui le dit. Pour tourner la mode, souvent, le peintre qui peint se dissimule sous le terme de "plasticien" ou sous celui encore plus général d'"artiste". Sous ces appellations, il peut pratiquer toutes sortes d'arts, et entre autres l'art de la peinture. Jean-Claude Tardivo ne recourt pas à ce stratagème. Il s'expose tout naturellement comme peintre, avoue qu'il a toujours pensé et voulu être peintre, qu'il aime la peinture et vit avec, dedans. En dehors des modes et surtout des étiquettes en "isme", il pense la peinture comme un long travail, une longue pratique, dont les strates s'accumulent, se juxtaposent et, se mêlant, s'entre- pénètrent. C'est ainsi que les traitements successifs d'un thème, les variations induites par leur répétition sous d'autres modes, avec d'autres matières, d'autres jeux de couleur et de forme, finissent par entrer comme matériau de base, et nouveau support pour d'autres recherches. Chaque pièce est le fruit d'une réflexion des strates picturales les unes sur les autres, et quand je dis "picturales" je ne pense pas seulement aux couches de matière pigmentées, mais au travail de conception qui les a liées entre elles. Ce travail de liaison fait corps dans la peinture de Tardivo, à tel point que le motif ou le thème de l'œuvre semblent n'être que prétextes et s'effacer devant son véritable sujet : la peinture elle-même. Ce que nous voyons, alors, c'est l'apparition à la surface de la toile de formes aléatoires; il importe peu que ce soient des têtes, des corps, des mains, des bouches, des seins, des têtons en forme de doigts, ou du texte imprimé, des chaises, du tissu rayé ou à fleurs. Ce qui est là n'est qu'un surplus de sens, un supplément à la véritable affaire qui est celle du dessous. Des dessous. Certains appellent ces dessous : "profondeur"- je dirais plutôt : matière première composite, travaillée dans la pâte, jusqu'à ce qu'elle prenne forme. Bien sûr on dira qu'il n'est pas indifférent que les formes à quoi aboutissent ces malaxages, ces prises à pleines mains de la peinture en tant que telle, composent en définitive des têtes, des sexes, des mains et des seins. Comme si on revenait toujours au primordial: à la fabrication des corps et aux outils qui servent à la procréation. Mais je dirai cependant que ce sont là des illustrations habituelles, des repères pour la connaissance, et peut-être comme une acceptation d'un destin de la peinture, d'un fatum, contre lequel il serait vain de lutter. Destin qui veut le corps pour la peinture comme son commencement et sa fin. Que ces corps soient humains ou non, qu'il soient aussi bien chiens et chats, amibes ou serpents d'eau…La preuve en est ( s'il est des preuves en ce domaine) que les têtes-doigts-seins-sexes de Tardivo sont improbables, et n'ont aucun souci de vraisemblance: ce sont des choses issues du travail de la peinture. Et elles manifestent leur statut de chose sous leur forme vaguement humaine. Ainsi au bout d'un long parcours, et par le travail de la peinture, Tardivo nous rappelle-t-il le devenir chose de l'humain, ou, plus exactement, rend –il sensible l'effort par lequel la forme humaine s'arrache à la matière, à la chose. Mais, et c'est là à mon sens que se trouve l'accent original de son oeuvre, il rend perceptible le retour de l'humain à son état de chose, comme si cette même forme humaine n'etait que décor, surface, superficialité sur fond de matière primitive. Est-ce parce que nous sommes alors confrontés avec ce que nous ne désirons pas du tout savoir- la fragilité de notre condition, son indétermination foncière- mais il nous semble alors que ces figures –de choses expriment le sentiment, mélancolique, ou tragique, d'avoir été enlevées à leur nature. Anne Cauquelin Avril 2001
Il y a comme une sorte d'impudeur et d'injustice mêlées, à rencontrer pour la première fois l'oeuvre d'un artiste qui peint depuis trente ans. Impudeur à s'immiscer brutalement dans une vie. Injustice d'avoir - hasard de curiosité - ignoré un travail long déjà. Tout d'un coup, comme par magie, I'artiste déroule devant vous les étapes de sa création. Les anciennes oeuvres, celles qu'il considère comme significatives d'un bouleversement dans sa recherche, les dernières nécessairement plus abouties... Bref, on se trouve plongé dans un univers dont la veille on ignorait même l'existence. Comme une discussion anonyme dans un bistrot avec un voisin de zinc que l'on écoute et qui vous entraîne aux tréfonds de ses angoisses. C'est un peu le sens de ma rencontre avec Tardivo. Modeste, me présentant ses toiles, l'artiste livre des bribes de son existence, de son enfance, parle des pesanteurs de sa culture, de ce qu'il fait, qui il est, ce qu'il est. Un instant on se sent psychanalyste sans très bien savoir, sans toujours comprendre. Les tableaux défilent, une vie aussi. L'impression est curieuse. Pourtant comment mieux approcher un travail qu'en écoutant, en écho, les propos, souvent éloignés du tableau, qui l'accompagne. Depuis 1977, Tardivo peint à l'acrylique. Il fait des personnages, plutôt un personnage démultiplié. Il travaille des séries " pas par volonté mais comme ça ". Le thème intervient "par hasard". "Les séries prennent naissance après une crise, quand je me trouve à l'aise, je fous le camp. J'ai peur de m'installer". Personnages donc. Ils emplissent la toile. Au fil du temps leur présence change de nature, leur nombre diminue. Dans les premiers tableaux, ils apparaissent en situation, presque mis en scène. Aujourd'hui seuis, éventuellement en couple ils sont si forts que l'espace qui les accueille, paraît insuffisant, restrictif. On les imagine agités par un désir d'échapper au support, de changer de vie, de fuir. L'unité du travail se situe dans la constance de la représentation, dans la couleur employée. Homme-femme. Qu'importe ces grotesques qui ont le visage illogique, boursoufflé, les mains souvent disproportionnées, le regard vide ou plus précisément ailleurs, sauf exception apparaissent nus. L'artiste les traite avec plus ou moins de liberté, plus ou moins de démesure. Ils vont de soi. "Cela m'habite, ce n'est pas raisonné". Tardivo s'inscrit dans la catégorie des artistes qui expriment ce qu'ils portent, sans a priori savoir d'où cela vient, où cela va. Peintre relais des agitations de son esprit, il libère des gnomes au destin autonome. Les formes que retient la toile sont brutales, violentes. L'apaisement ici est étranger. Il y a là comme une évidence qui remonte au plus profond de l'inconscient. Ramené à leur état d'origine, sans apprêt, les personnages renvoient à la tourmente existentielle. Ses regards hébétés, hagards disent l'urgence. Celle de l'instant, du temps qui passe, marque et détruit. On a souvent dit la difficulté pour l'artiste se situant dans une démarche de longue tradition - celle de la représentation du corps et du visage - d'affirmer une personnalité originale. Cette permanence d'une attitude: le besoin de l'artiste de vivre son propre corps à travers l'úuvre, n'est pas sans risque. C'est pourtant la plus extrême des intimités. Le plus charnel des rapports. Tardivo assure et assume le pari. Avec le temps, les formes paraissent plus libres, l'artiste moins contraint. Une tentative d'abstraction se manifeste, une sorte d'éclatement probable. Le personnage devient outré et primitif. A force de se laisser aller le peintre retrouve le chemin des origines et des traces premières. On peut penser dans certaines úuvres fortes à Chaissac ou Dubuffet, à chacun ses influences. On peut aussi regarder du côté de Blais. La voie du corps et de sa représentation est étroite. Tardivo avec une rigueur, une tenacité presque paysanne l'explore à travers sa transcription sur la toile. Les couleurs, sourdes, elles aussi répétitives, ajoutent à l'impression de grande continuité de l'œuvre. Le blanc, le gris, le noir et leurs multiples déclinaisons dominent. Est-ce une peinture de révolte contre la société ? D'approche de soi, en tous cas il s'agit d'une œuvre d'incandescence, de fièvre intérieure où l'artiste projette son état du moment. Peinture d'instinct, contemporaine dans sa technique, classique dans son propos, elle confirme une fois encore que le grand secret de la création se situe dans la capacité d'un homme de laisser un témoignage authentique de son passage. Tardivo marque une empreinte vraie et sincère. Michel Faucher
Un nouveau style commence : après quelques années consacrées aux corps des femmes, TARDIVO s'est insensiblernent éloigné de leurs formes épanouies. Leurs membres s'éffaçant, il ne restait plus que des silhouettes imprécises entre homme et bête. Des êtres hybrides habitaient la toile. Aujourd'hui le peintre se réapproprie les corps. Mais ceux-ci évoquent plus l'enfance que la féminité, et rappellent les dessins d'enfants de la phase-tétard. Il s'agit d'une enfance revisitée et réinterprétée, comme si TARDIVO, refusant (le s'embarrasser d'un discours théorique, cherchait a amenuiser l'espace entre l'idée et sa représentation ci a retrouver le jaillissemient d'une expression immédiate et évidente. Qui sont-ils ces personnages qui occupent tout l'espace de la toile ? Des mutants qui nous entraînent à leur suite, par Un raccourci, sur le chemin risqué des émotions directes. Ils se déploient mais leurs corps s'atrophient au profit de détails signifiants : les yeux, les mains, les pieds, plus remarquables alors. Des lignes verticales ou circulaires forment l'ossature des personnages. Ces êtres cherchent à exister à tout prix. Car il s'agit bien là d'une renaissance qui se manifeste dans ce jaillissement de pieds et de mains et dans ce débordement d'énergie et de couleur. Là, on sent le désir et le plaisir de la peinture à l'état brut, la volonté clé se risquer sur de nouveaux chemins. Un aphorisme de Duprat sur une des toiles de l'exposition nous rappelle que "Ia différence est un risque a prendre". Le changement aussi. Mission accomplie. Dominique Fleur Novembre 1998
MATRICES Les personnages primitifs de Tardivo ont des appétits métaphysiques. Le geste est fébrile, incisif, puissant. Des bruns terriens, des gris, des mauves, des bleus durs, des rouges violacés, la couleur se répand comme traînées de poudre sur la toile et le papier marouflé. Etayée de noir, la matière est dense, généreuse. De ce magma organique surgissent les rondeurs fécondes de Vénus primitives. Réunies en diptyques, en triptyques, groupées par quatre ou plus, mais toujours isolées, les unes des autres, les silhouettes aux formes maternelles exaltent la vie dans sa vulnérabilité, son angoisse, sa dérision et son espoir. Délivrée de l'artifice, du style, de l'esthétisme, la peinture de Tardivo est la quintessence d'une sensualité toute spirituelle. L'artiste peint depuis trente ans. C'est un maître. Béatrice Foret 9 octobre 1992
Jamais œuvre picturale ne me parut aussi réjouissante. C'est que TARDIVO les a longuement côtoyées ces femmes devenues aujourd'hui des " nanas " après avoir été " Vénus " des origines puis " bonnes femmes ". De toile, de carton ou bien encore " mises en boîte ", elles s'offrent à nous désormais sans complexes, libérées du souci de l'apparence si cher à notre temps. Vous ne les verrez pas défiler sur un podium, sylphides à la démarche composée, au sourire à peine esquissé, drapées dans leur inaccessibilité. Non, les femmes de l'artiste arborent des tenues où s'orchestrent, en un savant mélange, carreaux, pois et rayures, dentelles et collants laineux, le tout couronné par des seins qui ignorent la silicone, des seins inattendus qui émergent des vêtements même, des seins comme des étendards en quelque sorte. Et puis il y a les compagnons de ces nanas ; oiseaux au regard humain qui charment et bécotent, poissons rouges parfois bipèdes et chiens, pas de ceux que l'on acquiert avec label, non, mais des chiens noirs de poil et courts sur pattes, des bâtards qui ressemblent à leurs maîtresses. Et lorsque les enfants paraissent, ils se font poupées de chiffon, tout doux, un vrai bonheur. TARDIVO nous invite simplement à une vie pleine d'inattendus, loin des codes et des faux semblants. Martine Gasnier Septembre 2004 Les femmes de TARDIVO Tardivo aime les femmes, depuis longtemps, des millénaires peut-être, quand il a croisé Vénus au détour d'un musée et l'a prise pour modèle. N'allez pas croire qu'il s'agissait du sex symbole grécoromain, celle qu'il peignit n'était autre qu'une de ces idoles primitives exhibant seins, hanches et ventre comme les attributs d'une fécondité incontournable qui deviendrait sa seule raison d'être. Ces femmes là étaient sans histoires, sans âmes même, et les hommes pensaient sans doute qu'elles le resteraient. Le peintre, lui, s'aperçut bien vite qu'elles avaient d'autres prétentions et se mit à les décliner: libertines, rivales ou esseulées, voilà qu'elles prenaient le chemin de la féminité pour entraîner l'artiste jusqu'à Lemnos où il les aida, qui sait, à tuer leurs maris infidèles. Après quoi, il se reposa en construisant des demeures pour y enfermer celles qui deviendraient pour toujours des muses. Elles étaient alors suspendues dans une sorte d'éternité, tranquilles certes, mais inaccessibles. Tardivo un jour, en eut assez et regarda autour de lui les femmes qui allaient et venaient simples et quotidiennes, celles de sa famille sans doute, grand-mère, cousine, tante, des «bonnes femmes» en somme habillées comme vous et moi, enfin si vous n'êtes pas de celles que l'on dit chochottes, et si vous avez vécu à la campagne des soirées de bavardages entre voisines, l'été quand il fait beau et que les enfants s'endorment tard. Ce temps perdu, ces images gardées dans un coin du cœur pour affronter la vie, ces femmes surtout, gardiennes de l'enfance, allaient, en une ultime étape donner le jour à ces « nanas» que l'artiste côtoie avec bonheur. De toile, de carton ou bien encore « mises en boîte », elles s'offrent à nous désormais sans complexes, libérées du souci de l'apparence si cher à notre temps. Vous ne les verrez pas défiler sur un podium, sylphides à la démarche composée, au sourire à peine esquissé, drapées dans leur inaccessibilité. Non, les femmes de l'artiste arborent des tenues où s'orchestrent, en un savant mélange, carreaux, pois et rayures, dentelles et collants laineux, le tout couronné par des seins qui ignorent la silicone, des seins inattendus qui émergent des vêtements mêmes, des seins comme des étendards en quelque sorte. Et puis il y a les compagnons de ces nanas; oiseaux au regard humain qui charment et bécotent, poissons rouges parfois bipèdes et chiens, pas de ceux que l'on acquiert avec label non, mais des chiens noirs de poil et courts sur pattes, des bâtards qui ressemblent à leurs maîtresses. Et lorsque les enfants paraissent, ils se font poupées de chiffon, tout doux, un vrai bonheur que le temps n'abîmera pas. L'univers féminin que nous propose Tardivo se situe bien loin des codes et des faux semblants. Il nous parle seulement de tendresse, de celle que l'on voudrait surprendre plus souvent dans le regard de passantes anonymes, de celle que nous offre les animaux installés à la maison pour nous tenir compagnie, en un muet dialogue, mais l'univers du peintre nous parle plus encore de lui. Ces femmes tellement réjouissantes, ces scènes si drôles et touchantes à la fois sont l'œuvre d'un homme généreux dont le sourire en dit long. Ne comptez pas sur lui pour les élucubrations esthétisantes, il n'a rien d'un songe-creux. Tardivo ne parle que de peinture, de la vraie de celle qui nous embarque pour ailleurs. Écoutez-le et, si vous êtes femme, glissez-vous parmi ses « nanas » vous vous en porterez mieux! Martine Gasnier 2005
Tardivo, l'homme qui aime les femmes... Les femmes de Tardivo ne posent pas dans "Gala". Elles ne se dorent pas la pilule à Ibiza. Elles n'en ont ni le temps ni les moyens. Ses modèles, il les retrouve sur les photos jaunies de son enfance. Son père était ouvrier tanneur. Lorsqu'il fait part de ses intentions de devenir artiste, le message ne passe pas bien dans la famille. Mais il tient bon. A 18 ans, il prend sa décision. Aujourd'hui, il a trouvé son style. Ses toiles évoquent un peu les dessins d'enfant. Mais le message est plus puissant. Il adresse dans chacune de ses œuvres un message d'amour et de respect à celles qui ont guidé ses premiers pas. Cette exposition rappelle la "Cité des femmes" de Fellini. Dans un train, Mastroianni se repasse le film de son enfance et retrouve celles qui lui ont montré le chemin qui mène vers l'âge adulte. Vêtues d'une blouse à fleurs, les cheveux tirés en arrière, les yeux écarquillés, les femmes de Tardivo suscitent le respect, inspirent la tendresse. Autour d'elles, l'artiste dispose des indices. Ce sont les traces d'un passé lointain. La roue de la brouette du père, l'échelle, les oiseaux ... Tardivo reconstitue le puzzle de cette enfance que le temps a complètement pulvérisé. Ces femmes que la vie n'a pas épargnées rêvent aussi. Elles se prennent pour des oiseaux, se revoient petite fille, Jean-François Julien 2006
Nostalgie Baroque La Galerie Saint-Pierre vous invite à vous plonger avec jubilation dans le monde pictural de Tardivo, un univers baroque, fantaisiste et émouvant où se meut, alerte, une galerie de personnages féminins typés aux infinies postures. L'habile composition patchwork du peintre exhume un imaginaire familier qui évoque la nostalgie de l'enfance, la simplicité, la bohème d'antan. Un folklore de teintes, une série de scénettes décalées, audacieuses, un panache gouailleur et sensible de couleurs donnent vie à un monde pittoresque, bancal débordant d'humanité. Tardivo s'est inventé un imaginaire où les femmes s'adonnent aux joies de la couleurs. D'où viennent ces héroïnes exquises et grotesques, fardées, endimanchées ? De drôles de bonnes femmes aux traits irréguliers, à la silhouette rudimentaire, dont les immenses yeux opalins se posent sur vous avec bienveillance, espièglerie, intensité, s'adonnent à un fabuleux manège. Elles exhibent avec éloquence et bonhomie un vestiaire, une chevelure bigarrée, une physionomie dégingandée. La simplicité prend des allures romanesques. Ces icônes primitives auxquelles l'alliance des couleurs insuffle une présence attachante, palpable, animent un étrange cirque enchanteur. La toile devient le terrain de jeu de leurs épiques pérégrinations. Tardivo compose avec brio une ode tendre et délurée aux allégories de l'enfance, aux temps des souvenirs profanes, aux sensations réminiscentes. Personnages et éléments du décor s'agencent avec élégance et vitalité sur un même plan d'où la profondeur est bannie. Il met en scène d'étranges visions fantasques dans lesquelles se côtoient un répertoire d'objets au goût d'enfance, un bestiaire insolite peuplé d'oiseaux mutins et de petits chiens dociles et joueurs ... Une roue de charrette en hommage au père artisan et rural, une locomotive qui siffle l'heure du départ vers un ailleurs pourpre et généreux sans doute en souvenir d'une grand-mère garde-barrière, une balançoire descendue des cieux exhale un doux parfum d'escarpolette et entraîne dans son envolée plaisante une fillette exaltée par la luminosité d'un jardin grenat. Isabelle Lacrouts 2006
"Humains trop humains ", pluriels et singuliers, les personnages de Tardivo sont-ils vraiment nous ? Cette part manquante, cette part cachée, ce frémissement qui murmure sans relâche en cachette de l'autre ? Ces mémoires interlopes qui attendent. Ces corps hésitants, qui puisent leur existence au cœur de l'originaire jusqu'à l'incarner, nous déroutent tant ils semblent terriblement tranquilles et traînent insaisissables à constamment flotter. lis tâtonnent irrésolus, paraissent voués au hasard d'un monde indéfini, tels de nouveaux nomades offerts à la lenteur d'un temps inexploré. Et si Tardivo esquisse un personnage essentiel, à chaque fois unique et fantasque, jouissant de son propre corps tout autant que de sa propre légende, un personnage qui s'épanouit et fait parade sur la toile, on dirait bien que tous s'enivrent cependant à une seule et soudaine résonance, un écho inattendu. Il s'exprime alors de ce macrocosme néologique, une répétition inlassable, où l'humilité s'épuise jusqu'au dépouillement. Et celui-ci préfigure jusque dans le vêtement. Certains sont nippés de chemises ballantes, d'autres sont vêtus de bustiers mollement serrés et équivoques qui laissent la plupart des fois poindre leurs seins - deux seulement ont vraiment glissé une robe de couleur vive qui les enveloppe et camouflé leur crâne sous une imposante tignasse noire, si bien qu'on les imagine déguisés ou endimanchés - Mais curieusement, même s'ils sont vêtus, affublés, parés de tissus courants, ordinaires, ces personnages répliquent aux visiteurs par un volte-face et s'ingénient à s'ébattre dans la dérobade, puisque, même en embrassant les plis et les creux de leurs toilettes, ils naissent simples, dévoilés, bruts, sans noirceur ni manœuvre. Ils s'expriment sous des formes humaines constamment déjouées, qui s'ouvrent et engendrent des ardeurs primitives, aborigènes, obsédés par l'inachevé. Ils pénètrent l'espace intime et silencieux de la toile et s'assoient, comme si, celui-ci signifiait un court instant leur seul possible territoire. Et là, encore, par quelle immédiate alchimie, Tardivo trompe les contours, contrecarre ce que notre regard croit envelopper et transgresse cet espace qui se perd et se fond dans l'interminable. En perpétuel mouvement, leurs pieds ne sont jamais vraiment posés, vraiment dormants, mais infléchis, busqués comme des nez, cambrés comme s'ils attendaient pour partir, comme s'ils se tenaient prêts à filer. Leurs mains contiennent la tentation du geste, le désir de prendre, de s'emparer, elles ne font que s'effleurer, se sentir, se toucher à peine du bout des doigts - seul un personnage s'accroche réellement, se cramponne à un autre -, qui lui aussi hésite et marche sans savoir vraiment où aller. Tout est instable, vacillant, faible à tout rompre, et les meubles comme les rêves sont posés de guingois, et les fauteuils sont vides. Ces personnages cherchent constamment quelque chose - le pendule comme une savante mécanique, présent ou sous-jacent quand il se figure en corps de souris ou sous l'apparence d'un oiseau, est l'outil primaire, l'effigie essentielle qui ici charpente l'histoire - Tous sont extraordinairement renflés, soûlés par l'attente. Elle bat tellement puissamment que leurs corps tout entier sont voués à ce possible espoir marbré au fil des tableaux, de verts imparfaits, tapageurs, de roses surannés, de bleus lapis ou hâves qui dédaignent l'Eden mais se mélangent et se fondent, se malaxent tant et si bien qu'ils réinventent l'éternité. A force, le visiteur pourrait s'imaginer converser avec ces personnages qui vivent et crient comme une humanité seulement fraternelle. Fabienne Le Beller Octobre 1999
Jean-Claude Tardivo, la force, l'expression, la tendresse. Les oeuvres qu'il propose aujourd'hui montrent la grande, maîtrise de son médium, la peinture.Sa permanente interrogation sur l'intégration de la figure l'amène à simplifier encore le dessin, néanmoins, toujours présent. Seuls, ou en couple, les personnages prennent volontairement toute la surface de la toile comme pour absorber la couleur. La matière généreuse qui vibre de manière si particulière, donne la structure. Les figures, ainsi maintenues, se déploient avec aisance, offrant au spectateur une image ludique.La lecture ne se fige pas. Le regard se promène dans le jardin des couleurs que Tardivo mélange de façon subtile. Tardivo mène avec la toile une lutte incessante pour trouver la ligne essentielle. Il y parvient grâce à une composition rigoureusement choisie. Ainsi, émane de ses oeuvres une présence dont la force dégage une impression sereine. Le grand talent de Tardivo est de nous apporter ce sentiment d'équilibre et de puissance qui force le dynamisme. Des ondes telluriques émergent des toiles, qui nous rappellent nos origines. Cet ancrage solide semble rassurant dans une époque où, parfois, nous avons l'impression de perdre pied. Tardivo sait encore nous montrer que la peinture, envers et contre tout ne disparaît pas. De cela, nous pouvons le gratifier. Alix Lemarchand Mai 1999
TARDIVO vit et travaille à Paris. Mais il est né à Villedômer, près de Château-Renault, lieu d'origine de sa famille, auquel est attachée toute son enfance. Ses parents, comme tous les gens de la campagne à cette époque, croyaient inimaginable que la peinture puisse être considérée autrement que comme une activité ludique. Lorsqu'il se mit à peindre, le petit Jean-Claude TARDlVEAU n'avait jamais vu de tableaux, pas même ceux d'André BAUCHANT, peintre célèbre du Castelrenaudais dont il connaissait seulement le nom. Un tableau pourtant, trouvé dans les pages du dictionnaire "L'assassinat de Marat par Charlotte Corday" de David, le fascinait tant qu'il a peut-être été à l'origine du déclic. A moins que ce ne soit l'héritage génétique d'un grand-père un peu artiste, qu'il n'a même jamais connu. Ce qui est sûr, c'est qu'il portait la peinture en lui, comme un sacerdoce, alors que le contexte environnemental ne se prêtait pas à lui en donner la vocation. C'est Pierre VIGNAC, professeur aux Beaux-Arts de Tours qui lui a fait croire en ce qu'il faisait en parlant ainsi à ses camarades de classe: "Un jour, TARDIVO ne fera que de la peinture". C'est aujourd'hui le peintre de renommée internationale qui a exposé de la Suisse à la Chine en passant par la Russie, l'Allemagne, le Japon et les Etats-Unis. Plusieurs ouvrages lui ont été consacrés. Des écoles et des collèges ont fait travailler leurs élèves sur sa peinture. C'est d'ailleurs auprès des enfants de l'école maternelle Paul Dubois à Paris qu'au moment où il se posait certaines questions, il s'est attaché à trouver plus de vérité aux personnages qu'il peignait déjà: "Il y a dans les dessins d'enfant toute la vérité que l'adulte a laissé s'enfuir. Il y a aussi toute la pureté et l'amour qui les rendent supérieurement beaux. Ils contiennent l'avenir en création, opposé au devenir nostalgique". L'artiste est modeste et réservé mais il sait livrer des bribes de son existence dès la première rencontre. Il offre une écoute patiente à son interlocuteur. Il est encore fortement lié par des amitiés en Touraine où il a exposé à la Galerie Sainte-Croix à Tours en 1970, et plus récemment à Château-Renault (Moulin de Vauchevrier et Centre de Rencontres) en 1995 en hommage à ses parents, et à l'Atelier 19 à Tours en 1998. Il peint à l'acrylique, plutôt sur de grands formats et fabrique ses instruments lui-même pour obtenir des effets de texture intéressants, griffant et triturant la matière dans une gestuelle intérieure marquée. Ses couleurs vibrent en camaïeux sourds de bruns terriens et de tons de peau, d'où surgissent un jaune rare, un bleu entier, un rouge théâtre. "Certaines de mes œuvres peuvent paraître peu colorées, mais lorsque je mets trop de couleurs j'ai parfois l'impression d'apposer un artifice complaisant". Ses sujets dans cette exposition sont essentiellement des femmes, nues et toujours de face. Certaines sont encore apparentées aux dessins enfantins de la phase têtard représentant une étape dans sa peinture. Les autres ont acquis une certaine maturité et deviennent plus "femelles", dans l'acceptation noble du terme. Les mains et les pieds sont toujours disproportionnés; les visages sont représentés par les yeux et la bouche. S'imposent alors les yeux pleins d'expressivité, malicieux, penauds, dubitatifs, pleins de tendresse parfois ... jamais méchants. Souvent les mains, dans une attitude protectrice enveloppent la symbolique du cordon ombilical nourricier. Il travaille par "séries", dans le but d'approfondir le sujet dans une recherche de synthèse de la forme, de la composition et des couleurs. Il offre de ce fait une œuvre puissante et singulière qui, par ses chromatisme, stylisation et goût du portrait, le place dans la famille multiforme des expressionnistes. Cependant, c'est un peintre hors courant, hors nonnes, hors discours. "TARDIVO n'imite personne, il se contente d'être lui-même et c'est magnifique". Les tableaux de TARDIVO ne sont pas d'une approche séduisante a priori, ni même facile, la première prise de contact peut être pour certains un véritable choc intérieur assez brutal. C'est un travail qui ne peut être appréhendé au premier regard et le déclic n'est pas forcément spontané. La perception et l'acceptation de son œuvre ne sont pas dues à une simple habitude de regarder, mais de voir. C'est la recherche de la beauté intérieure, comme une richesse d'être - le vrai ne s'encombre pas du joli -. Les enfants qui ne s'embarrassent pas de préjugés, ni de justifications, perçoivent la peinture de TARDIVO d'une façon très souvent spontanée. "Les adultes confits dans le leurre de leurs certitudes, se donnant comme interdit de voir ou d'entendre ce qui les dérange, ont très souvent perdu de vue qu'ils pourraient encore réagir sans honte, avec leur sensibilité". TARDIVO nous bouscule, il s'est peut -être servi de ces formes en apparence infantiles pour nous ramener à l'endroit où tout nous redevient possible. Les œuvres de TARDIVO accrochées au Ripault sont représentatives d'une démarche engageant les trois dernières années. Elles sont aussi l'aboutissement d'un long travail, d'une longue pratique de recherches picturales dont les strates s'accumulent depuis 50 ans. TARDIVO marque une empreinte vraie et sincère. Marie-Lou Perdrigeat 2002
ETRANGES, LES PETITES CREATURES DE TARDIVO Toutes les œuvres de Tardivo ont une géographie commune : un espace sans définition sociale, sans géométrie ni perspective. Simplement, un "territoire" entouré -protégé ? - par un encadrement blanc dont les bords intérieurs sont maculés de taches de peinture de couleurs violentes (noirs, jaunes ou rouges crus ; verts et bleus plus épisodiques, en aplats fortement délimités). Sur cette "frange" se détachent parfois des lambeaux de phrases. Mots souvent incomplets, placés là non pas apparemment pour délivrer un "message", mais pour cerner culturellement le lieu de vie des créatures qui l'habitent ; créer un équilibre à partir de ce qui constitue finalement un cadre dans le cadre ; au "centre" duquel, et à l'avant-plan, dans des nuances de blancs crémeux ou grisâtres, tel un fœtus dans son milieu confortable, se trouve un "être vivant" ! Toujours homomorphe, ce petit personnage est aussi toujours de face, semblant "poser" pour le spectateur ! Et, sur les cimaises, ce sont d'étranges instantanés de non moins étranges figures, intemporelles, toutes semblables et néanmoins chaque fois différentes, dessinées s ans souci. de réalisme, exécutées de façon très rudimentaire. Ces créatures à la tête sans cou , large et massive, rivée sur le corps-vêtement, sont solidement campées sur des jambes minuscules terminées par des pieds de formes si bizarres qu'ils ont l'air parfois de petits animaux blottis aux... pieds de leur maître ! Simples, tellement simples que, de prime abord, elles ressemblent à s'y méprendre à des dessins enfantins ! Mais, immédiatement, intervient le sens inné de la mise en scène de Tardivo. Car c'est bien là le sommet de son art : savoir, l'air de rien, uniquement avec un trait (volontairement) perturbé, parfois haché, comme incertain, rendre évidente dans leur immobilité de façade, l'existence de ses personnages. S'imposent alors les gros yeux charbonneux pleins d'expressivité ; malicieux, penauds ou dubitatifs... jamais méchants ; écartés aux limites de la tête inclinée. Et puis de larges oreilles décollées des crânes chauves. La bouche, grande ouverte, comme rajoutée sur le visage, détachée même parfois à la manière d'un gros cigare ; ou au contraire, fixée par un fil qui ferait le tour de la tête ! Le nez, souvent absent ou se promenant à son gré en quelque stratégie faciale inattendue ! Quant aux bras, ils semblent "poser problème" à l'artiste : tantôt ils sont démesurément longs, soudés au corps, tantôt atrophiés, presque inexistants ; mais, dans tous les cas ils se terminent par d'énormes mains à trois ou quatre doigts boudinés, largement épanouis. Inutile, donc, de chercher dans ces compositions, morphologies raffinées, narrations ou descriptions complaisantes. Seules sont évidentes les silhouettes à l'impact à la fois débonnaire et ludiquement grave, la fantaisie tendre et poétique de cette œuvre éminemment personnelle. Tout se passe comme si, désireux de rendre autant de souvenirs vivaces rémanents, d'impressions brèves fouettant comme des flashes son imaginaire, le peintre gardait en tête -au cœur aussi, vu la constance de son investissement pictural -, les caractères essentiels de l'être humain ; et, en toute simplicité, les restituait sur sa toile ! Il offre de ce fait au visiteur, une œuvre puissante et singulière ; qui, en raison de sa réflexion personnelle, l'écarte de la création brute dont sa démarche esthétique est pourtant proche ; qui est souvent un peu naïve par la manière dont le concernent ses états d'âme traduits par chaque tableau ; mais qui surtout, par son chromatisme, sa stylisation et son goût du "portrait" le place dans la famille multiforme des Expressionnistes. Jeanine Rivais
Blog d'Elisabeth Poulain, essayiste. Article 1 Article 2

Jeanine Rivais

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